Test :
Ketsuro
Par FwT

Temps joué : 6 h


Introduction

Si l’on en croit Akira Kurosawa, légendaire réalisateur de films de samurai, “rien n’en dit plus à propos d’un créateur que son travail lui-même”. En partant de ce principe, que nous révèle Ketsuro de son programmeur, Sriden ?
On pourrait dire que c’est un furieux, étant donné les hectolitres de sang que les persos font gicler au moindre regard de travers. Ou un perfectionniste, lui qui a fait un jeu complet sur un scénar et des personnages qu’il a inventés il y a un quart de siècle. En tout cas, on peut être sûr d’une chose : c’est un fan de cinéma.


Awards généraux et spécifiques

Meilleur scénario (Note : 4/5)

Dans Ketsuro, vous incarnez l’héritier d’une organisation d’épéistes d’origine japonaise qui se bat pour l’honneur et la liberté, et dont l’objectif est de faire la peau à un tyran. Ces prémices assez simples durent le temps de l’intro. Rapidement, vous serez aux prises avec une sombre histoire de lutte de pouvoir sur fond de vieilles rancœurs. Et qui n’a peut-être pas tellement d’importance, finalement. Parce que le coeur de Ketsuro, selon moi, réside ailleurs.

Vous évoluez de manière assez libre au sein d’un royaume fictif fondé par des Japonais exilés sur le continent (situé dans l’actuel Kraï de Khabarovsk), et qui s’est métissé de cultures autochtones ou mongoles. Si vous voulez en savoir plus, les bibliothèques des villes et les passants, ainsi que d'inattendus panneaux touristiques, seront là pour satisfaire votre curiosité.

Votre aventure va vous amener à rencontrer les habitants de ce royaume et mieux comprendre son histoire. Par exemple, la guerre civile, dont votre personnage ne se souvient pas trop car il est jeune, mais qui a façonné vos camarades plus âgés. Et qui a laissé des balafres un peu partout sur le territoire. Non pas que le monde actuel soit en paix.

La violence est omniprésente dans Ketsuro. Les groupes armés prolifèrent, et les écoles d’épées semblent aussi répandues que les clubs de foot chez nous. La façon dont les PNJ gèrent cette violence est au coeur de l’histoire : certains sont indifférents face à la mort, d’autres sont devenus fous, d’autres encore recherchent le sang en se donnant des justifications plus ou moins bancales. On regrettera juste que le lore autour du pays de Nengetsu soit si présent au détriment des histoires interpersonnelles qui ne sont souvent que suggérées.

Dans tous les cas, c’est rare qu’un jeu vidéo amateur donne tant l’impression de faire partie d’une escouade soudée par des années de guerre. Entre les chevauchées pour partir au combat (les scènes de cavalerie sont mémorables), les débats autour des feux de camp, les petits détails qu’on apprend sur nos camarades en visitant leur village natal… Tout concorde à créer un esprit de corps.

Tout cela peut faire penser à un jeu très sombre. En réalité, Ketsuro place ici et là des petites touches d’humour (souvent grinçant) qui aident à relâcher la pression. J'aurais bien aimé que les personnages soient plus différenciés, mais peut-être que cela souligne le gap de valeurs et de génération qui sépare parfois le héros de ses amis.


Meilleure mise en scène (Note : 4,5/5)

La thématique assez déprimante du jeu, sur la façon dont la violence et la frustration change les gens, contrebalance une esthétisation du meurtre qui est rarement aussi détaillée dans un RPG en 2D. Coups de sabres, têtes qui volent… On est vraiment en plein cinoche, où chaque ennemi est un sac qui contient environ mille litres de sang, prêt à exploser. Concrètement, cette débauche de tatanes se traduit par des animations chiadées et accompagnées d’effets sonores ad hoc.

Le sens du détail de Ketsuro ne se limite pas à ses affrontements. Les villes sont particulièrement vivantes, comme les maps naturelles qui grouillent d’animaux et de plantes qui frémissent sous le vent.

Le jeu est un vrai manuel pour quiconque veut rendre son RPG plus accrocheur, sans débauche d’effets. Un reflet rouge sur les arbres près d’un feu, un potager devant une maison, un passant qui prie le bouddha Amida, des couleurs de dialogues différentes pour signifier un apparté…

Il y a aussi ces passages où l’auteur pose son ambiance est un minimum d’effets (je pense au château hanté), un peu comme un réalisateur obligé de faire le maximum avec un faible budget, et qui puise sa créativité dans la contrainte.

Parmi les scènes qui me resteront en mémoire : les chevauchées à travers les plaines (joli parallaxe, ça fait un peu intro de FFV) ou bien ce passage où les chevaux marchent en file indienne, tenus par une longe, que j’ai trouvé très efficace pour illustrer le quotidien du groupe qui doit traverser la world map.

Meilleur gameplay (Note : 4/5)

Alors, je suis assez embêté par ce point. Techniquement, il y a pas mal de compliments à faire sur le gameplay de Ketsuro.

Les énigmes sont bien pensées et évitent toujours l’écueil facile des leviers à activer (mention spéciale pour ce spectacle de marionnettes où on joue le rôle du souffleur, et qui permet d’en savoir plus sur l’univers).

Les déplacements sont relativement libres. On peut s’arrêter sur des points d’intérêt de la carte pour parler aux gens ou faire des mini-quêtes, comme dans un open-world.

J’ai beaucoup apprécié les séquences de “combat mental” en Action-RPG et les courses d’obstacles à cheval (sauf la drôle d’animation d’explosion quand on se prend un arbre), qui apportent de la variété.

Mais du coup, je reste sur ma faim. Ces parties sont infernales à programmer correctement sous RPG Maker 2003. Alors pourquoi ne pas les avoir plus exploitées ? Je m’attendais par exemple à avoir une séquence en A-RPG avant le combat final - qui n’est pas venue. De même, je pensais que la scène de négociations au début aurait donné lieu à une sorte de mini-jeu verbal ou de stratégie.

Parlons des combats. Dans Ketsuro, on peut à chaque point de sauvegarde recomposer son équipe parmi un choix de combattants. En pratique, j’ai toujours pris les plus forts, à qui je filais les meilleurs équipements et améliorations. Je ne me suis jamais vraiment préoccupé des affinités élémentaires (foudre, terre, ténèbres…) sauf pour le boss de fin (ce qui m’a permis de lui rouler allégrement dessus). En fait, je me rends compte que je n’ai pas eu beaucoup besoin de réfléchir à la tactique.

Les batailles Ketsuro utilisent le système de base de RPG Maker 2003. Attaque, magie, items. Ils ne sont pas très durs. On nettoie les hordes d’ennemis avec des sorts de zone (ou des “parchemins de mort”), et on finit les restants (ou les immunisés à notre magie) au sabre. Le jeu étant généreux sur les potions de soin (intelligemment renommées en s’inspirant de la pharmacopée orientale), cette partie n’est pas vraiment trépidante.

C’est dommage pour un titre basé sur le kenjutsu. Je m’imaginais un système de combat custom, expéditif et sans pitié, à la Bushidô Blade.

A part les animaux sauvages qu’on croise parfois, les ennemis sont plutôt similaires, tant graphiquement que stratégiquement. A défaut de variations dans leur nature (bandits, guerriers…), on en aurait aimé plus dans leurs techniques. Je pense à ce boss à cheval qui pourrait mieux profiter de l’avantage que lui procure sa position de cavalier.

Encore une fois, les combats ne sont pas désagréables, et Sriden n’est pas tombé dans le piège de les rendre trop durs. C’est juste qu’ils sont trop nombreux par rapport à leur manque de piment. De plus, les magies (les “arcanes”) sont tellement puissantes et polyvalentes qu’on a tendance à négliger l’utilisation de notre sabre. Ce qui est un comble. La parade n’est pas non plus un aspect mis en valeur. L’affrontement final, qui voit s’opposer des maîtres de l’épée, ressemblait du coup à une bataille à la Dragon Ball où on se balançait des sorts de loin. J’ajoute que ces techniques me semblent peu honorables.

Je ne vais bien sûr pas demander au créateur de refaire son système, d’autant plus qu’il tient la route. Mais si je m’autorisais un petit regret, ce serait de ne pas avoir eu, à la place de toutes ces magies de zone, des techniques, par exemple d’idaidô, provoquant des enchaînements de coups. On aurait pu imaginer également des techniques basées sur l’utilisation d’armes différentes : pourquoi doter tout le monde de sabres alors qu’on pourrait avoir une armée où chacun se spécialise en naginata ou en kyûdô ? Cela forcerait à choisir son équipe avec plus de soin.

Enfin, j’ai été un peu choqué de voir que dans ce scénario centré sur l’honneur, on peut affronter un ennemi à trois contre un et ratisser les coffres des PNJ (c’est du vol, non ?). Bien sûr, un tel système serait dur à mettre en place, mais j’aurais imaginé qu’agir honorablement procure des bonus à notre équipe en combat.


Meilleurs graphismes (Note : 4/5)

C’est un des points qui a reçu le plus de soin dans Ketsuro. Sur ses 400 maps, le jeu n’utilise qu’une vingtaine de chipsets, ce qui est relativement peu. Ces derniers sont complétés par des pictures et des charset animés qui évitent l’impression de monotonie. Les plaines enneigées, contrairement à ce qu’on pourrait penser, sont agréables à parcourir, avec leur relief mêlé de congères et de ruisseaux. Certaines cinématiques impliquent de grands panoramas tirés de jeux vidéo japonisants et agrémentés d’effets de brume. Les personnages ne semblent jamais déplacés, grâce à un travail de raccord sur la palette de couleurs. Certains de ces moments sont assez époustouflants et rappellent la composition de vieilles estampes.

L’architecture est relativement crédible (l’intérieur des maisons matche plus ou moins ce qu’on en voit de l’extérieur), et l’auteur utilise la suggestion pour nous montrer ce qu’il n’a pu représenter à l’écran (ou ce qui aurait été trop grand à explorer). Pour vous donner un exemple, dès le début, la sortie d’une pièce est matérialisée par le soleil qui filtre à travers un panneau coulissant. C’est un carré de 32*32 pixels sur le sol, mais c’est plus efficace que pas mal d’effets cosmétiques, comme ce plugin de lanterne qu’on retrouve un peu partout dans les jeux RPG Maker MV.

Tout cela donne une bonne leçon de mapping, même si j’ai noté des points améliorables. Par exemple, la disposition des espaces interroge parfois (le château hanté…).

Le gros point noir vient encore une fois des combats. Je sais que personne ne se plaint que, dans FFVI par exemple, les ennemis soient plus grands et détaillés que les personnages. Néanmoins, Ketsuro nous montre souvent un gros sprite issu d’un jeu de combat (le boss), ses sbires (plus petits et tirés d’autres jeux), et nos personnages, dessinés dans un troisième style, et qui sont les seuls animés. Ca fait bizarre.

Par ailleurs, l’auteur assume d’avoir utilisé, notamment en ce qui concerne les facesets, ses propres dessins réalisés au bic pendant ses cours. Pourquoi pas, d’autant plus qu’il leur a donné un aspect “vieux papier de riz”. Malheureusement, ni ce style dépourvu de couleurs ni la résolution en 320*240 n’aident à distinguer les principaux protagonistes les uns des autres. Or il y en a beaucoup, qui ont tendance à se ressembler physiquement, s’exprimer de la même façon et qui n’ont jamais leur nom affiché dans la boîte de dialogue. On peut vite se retrouver perdu. Ce léger manque de clarté et de cohésion m’empêche d’attribuer un 5/5 à Ketsuro.


Meilleure ambiance sonore (Note : 4/5)

Je ne sais pas pour vous, mais j’ai souvent du mal à remplir la partie “Ambiance sonore” des tests. Merci Ketsuro, ici ce ne sera pas le cas.

Sriden a porté une attention particulière à la façon dont les sons et la musique plongeaient le joueur dans l’ambiance. Les sons des menus évoquent le théâtre japonais. Les panneaux coulissants font des bruits de panneaux coulissants. Les sabres font “tching, tching”. C’est tout bête, mais beaucoup de titres négligent cet habillage sonore.

Les musiques sont particulièrement agréables, même si on sent parfois le moment où elles bouclent. Elles évoquent une époque Sengoku fantasmée, sans tomber dans le poncif du shakuhachi à toutes les sauces. Ketsuro ne va pas non plus proposer un univers sonore très éloigné de son genre, comme a pu le faire le film Samurai Fiction. Néanmoins, certaines musiques respirent presque le moyen-oriental voire le celtique, ce qui n’est pas désagréable.



Conclusion (Note totale : 4/5)

Ketsuro est un véritable hommage aux films de chambara, qui fait le pari d’un scénario assez complexe où se mêlent enjeux de pouvoir et frustrations personnelles. Dommage que cette prise de risque ne soit pas aussi présente dans le système de combat, heureusement compensé par une mise en scène de qualité et des quêtes annexes inventives.


Remarques diverses

Oïez, oïez, voilà tout ce que je n'ai pas pu caser dans le test !


- Concernant le scénario, j'ai été agréablement surpris par sa capacité à tirer le tapis sous les pieds du joueur, en jouant sur les anticlimax. Les discussions et réflexions des personnages montrent qu'il y a eu une réflexion de type : "Attends, pourquoi ce type fait telle action au lieu de faire telle autre ?". Je trouve que c'est toujours plus intéressant d'impliquer le joueur plutôt que de le laisser mariner dans le mystère.

- Il y a vraiment peu de fautes (même sur les noms japonais, on sent les années d'étude ). Et on ne tombe jamais dans la japonisation gratuite, le genre où tout le monde se donne du "chan" et du "sama", ce qui est épuisant. C'est suffisamment rare pour être signalé ! En fait, la seule coquille franche dont je me souvienne est "depuis quelques temps". Ah, et une minuscule à "Madame".

- Lorsqu'on se balade pour la première fois dans notre QG, l'intérieur est comme éclairé au néon, c'est étrange.

- Le menu de sélection de l'équipe est sympa, mais il n'y a pas leurs stats, ce qui oblige à aller checker dans le menu normal après... Pas pratique.

- Ok, impossible de sauvegarder sur la carte, mais du coup, on aimerait des points de sauvegarde visibles depuis celle-ci. Sinon, on hésite à entrer dans une ville au cas où il faudrait se fritter dès notre arrivée.

- Je crois que ça a déjà été dit, mais l'apparence du héros a tendance à freezer dans la séquence d'A-RPG.

- Sachant que les héros sont entraînés comme des bêtes dès l'âge de 6 ans, je trouve bizarre l'argument selon lequel le fils de Kyôda "n'a que 17 ans". Pour moi, ce n'est pas jeune du tout dans le contexte.

- Le château de Kyôda n'est-il pas un peu éloigné de la capitale, en tant que centre de pouvoir stratégique ?

- Mon cheval est animé même quand je ne le fais pas avancer.

- J'ai bien aimé l'ambiance du "Château yôkai", mais je ne suis pas allé jusqu'au bout. Il est déjà difficile de s'y repérer, mais la trappe qui renvoie au début m'a dégoûté, j'étais paumé, j'ai rebroussé chemin.

- Les PNJ donnent beaucoup d'indications sur le monde, et on sent le travail de documentation, c'est cool. Mais on a parfois l'impression de naviguer dans le Lonely Planet édition Nengetsu. Peut-être pourraient-ils donner plus d'infos sur eux-mêmes ou bien sur les quêtes ?

(SPOILERS AHEAD)

- Ca ne m'a pas gêné sur le coup, mais en y repensant, j'ai l'impression que le scénario aurait presque pu se terminer au moment de l'épisode du diamant ou au moins à la première confrontation avec Taikan (qui est du genre très, très bavard sur ses motivations, mais bon, il a vécu dans l'ombre toutes ces années, alors...). Même la confrontation au sanctuaire interroge sur l'utilité de sa partie sous-marine.
Bon, encore une fois, ça ne m'a pas vraiment gêné sur le coup car j'étais pris dans l'histoire.

Quelle note donneriez-vous à ce test ?

Ce test est-il bien rédigé, compréhensible, complet, respectueux ?

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Pseudo Commentaire
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sriden - Publié le 20/08/2022 à 14:53:26

J'ai Un Gros
Ambassadeur
322 messages
Merci pour ce très bon test, j'ai été étonné par les passages suggérant une certaine connaissance de mes précédents posts et activités dans la commu. xD
 
FwT - Publié le 21/08/2022 à 14:07:06


Concurrent
23 messages
J'ai des yeux partout
Et du coup, c'était bien le Kraï de Khabarovsk ? Je me suis bien amusé à superposer la carte de Ketsuro sur Google Earth
Edité pour la dernière fois le 21/08/2022 à 14:08:10.
sriden - Publié le 22/08/2022 à 01:36:36

J'ai Un Gros
Ambassadeur
322 messages
Oui c'est bien dans cette région-là, GG.
 

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